Stéphan Jean : « Osez poser la question du tabagisme, les fumeurs sont souvent agréablement surpris que l’on s’y intéresse ! »

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Article rédigé par Amin Morghad 7 octobre 2024
Stéphan Jean est psychologue et directeur de l'association ESI 14 en Normandie. Il est également le co-référent sur la thématique tabac à la Fédération Addiction. Il nous raconte comment l’accompagnement et la prise en charge du tabagisme s’organisent dans les structures médico-sociales qu’il dirige.

Pouvez-vous décrire votre rôle au sein d'ESI 14 et la place du tabac dans vos structures (CSAPA, CJC, CAARUD) ?

Stéphan Jean : En tant que directeur de l’association ESI 14, je suis à la fois responsable de la gestion administrative et financière de notre structure, qui inclut un CSAPA, une CJC, un CAARUD, un Service de Prévention-Formation et une antenne CeGIDD. Mon rôle est de m’assurer que les services offerts répondent aux besoins des personnes que nous accompagnons, tout en veillant à une coordination efficace entre nos dispositifs.

Concernant le tabac, il est omniprésent dans nos structures. Pendant longtemps, nous n’avons pris en charge que les personnes demandant spécifiquement de l’aide pour arrêter de fumer. Cependant, nous avons progressivement compris que même ceux qui ne sollicitaient pas d’aide pour leur tabagisme souffraient souvent de pathologies liées à cette consommation. Cela a transformé notre approche, nous nous sommes formés et avons modifié nos pratiques : aujourd’hui, nous abordons systématiquement le tabagisme dans le parcours de soin, qu’il soit prioritaire pour la personne ou non et nous proposons une aide à la diminution et/ou à l’arrêt.

Quels enjeux avez-vous identifiés par rapport à la consommation de tabac dans vos structures et quelles sont les principales difficultés rencontrées dans sa prise en charge ?

Stéphan Jean : Les enjeux majeurs sont liés à l’accès aux soins et à la réduction des risques. Nous accueillons des publics souvent vulnérables, précarisés, et qui ont une forte prévalence de consommation tabagique. L’un des défis que nous avons rencontré dans la prise en charge du tabac, c’est la banalisation de ce produit, à la fois par les usagers et par les professionnels. Le tabac est légal, facilement accessible, et souvent perçu comme moins dangereux que d’autres substances psychoactives, ce qui ne facilite pas sa prise en compte.

Par le passé, nous avons sous-estimé les risques du tabac par rapport à d’autres addictions. Ce frein à la prise en charge a été renforcé par un manque de formation en tabacologie. Aujourd’hui, nous veillons à sensibiliser et former régulièrement les nouvelles recrues, afin de maintenir un niveau de mobilisation adéquat sur cette question.

« La prise en charge du tabagisme offre un éventail thérapeutique plus important que les autres addictions et peut laisser plus de place à la personne dans ses choix »

Quelles stratégies et actions spécifiques avez-vous mises en place pour soutenir les usagers dans la réduction ou l’arrêt du tabac ?

Stéphan Jean : Nous avons déployé plusieurs stratégies au sein de nos structures (CSAPA/CJC/CAARUD/Prévention). D’abord, toutes nos équipes ont été formées à la réduction des risques liés au tabac et à son impact. Nous avons mis en place divers projets transversaux, comme des ateliers de marche, des formations spécifiques au RPIB (Repérage Précoce et Intervention Brève), et des actions collectives autour du Mois sans tabac. Nous avons également intégré la vape comme outil de réduction des risques dans certains de nos dispositifs, avec par exemple un « bar à vape » mis en place dans notre CAARUD.

Sur l’ensemble de nos structures, nous proposons des consultations dédiées au tabagisme, mais aussi des consultations solidaires avec des anciens fumeurs. Ces dispositifs permettent d’offrir un accompagnement diversifié, allant de la substitution nicotinique à l’encouragement à la vape, en passant par des entretiens motivationnels.

Quelles pistes d’amélioration identifiez-vous pour renforcer la prise en charge du tabagisme dans les structures médico-sociales ?

Stéphan Jean : Une des pistes d’amélioration serait de pouvoir créer une culture commune de la prise en charge du tabagisme au sein des structures médico-sociales. Cela passe par la création d’un environnement où les professionnels se sentent légitimes et à l’aise pour aborder le tabagisme, sans craindre d’être mal perçus ou jugés. Il est également important d’encourager des échanges réguliers autour des bénéfices potentiels de l’arrêt du tabac pour renforcer cette culture.

Par ailleurs, il est essentiel de continuer à former les équipes sur cette thématique. Les professionnels doivent être outillés et accompagnés pour répondre aux besoins spécifiques des publics vulnérables. Cela inclut une compréhension des multiples facteurs en jeu, comme la précarité, la santé mentale, et les autres addictions.

Ce sont des facteurs importants de vulnérabilité qui majorent la consommation de tabac. Ces facteurs peuvent mettre à mal la prise en charge du tabagisme aussi bien en termes d’accès aux soins que de rupture de parcours. Ils nécessitent des prises en charge globales avec des propositions adaptées prenant en compte notamment la sévérité de la dépendance et la fonction sociale du tabac. Les personnes en situation de précarité, par exemple, n’ont pas moins l’envie d’arrêter de fumer que les autres, il donc important de ne pas considérer leur tabagisme comme une fatalité.

« Nous abordons systématiquement, depuis quelques années maintenant, la question du tabagisme sur nos différents dispositifs et nous proposons une aide à la diminution et/ou à l’arrêt »

Quels conseils donneriez-vous aux professionnels de santé pour mieux prendre en charge le tabagisme dans leurs pratiques quotidiennes ?

Stéphan Jean : Le plus important est d’oser poser la question du tabagisme. Beaucoup de fumeurs sont étonnés, parfois même agréablement surpris, que l’on s’intéresse à leur consommation de tabac, surtout dans des structures où d’autres addictions peuvent sembler prioritaires. Nous avons constaté que lorsque le tabagisme est pris en charge, cela peut aussi avoir des effets bénéfiques sur les autres addictions.

Il est également crucial que les professionnels se forment régulièrement et adaptent leur approche aux évolutions dans la prise en charge du tabagisme. L’accompagnement doit être co-construit avec l’usager, car cela renforce son estime de soi et sa motivation à poursuivre son parcours vers une réduction ou un arrêt total.