Soins obligés : comment adapter l’accueil à des usagers qui n’ont pas fait le choix d’être là ?
Les soins obligés, une contrainte pour les personnes… et pour les CSAPA ?
Le code pénal prévoit que l’obligation de soins impose à une personne de « se soumettre à une ou des mesures d’examen médical, de traitement ou de soins ». S’il s’agit évidemment d’une contrainte pour la personne concernée, les professionnels de l’addictologie peuvent également ressentir des difficultés dans cette rencontre : ils doivent accueillir un usager qui n’a pas choisi de venir de lui-même et font ainsi face au manque de motivation, au déni et au problème de non-adhésion à la démarche. Concrètement cela peut se traduire par des rendez-vous non honorés ou demandes « opportunistes » d’attestation de présence. Parfois, ils peuvent aussi faire le constat que le soin obligé ordonné par la justice n’a pas lieu d’être au regarde de l’évaluation clinique de la personne.
À l’inverse, la mesure judiciaire peut aussi être l’occasion d’une rencontre avec le soin. Tahar Neggar, chef de service au centre de soin, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) ALT à Strasbourg explique : « Il arrive que la personne dise qu’elle n’est pas concernée mais, un ou deux ans après, elle revient nous voir hors obligation de soin. »
La manière dont les professionnels arrivent à aborder cette rencontre est ainsi particulièrement important. D’autant plus que les personnes perçoivent généralement la contrainte judiciaire d’arrêt des consommations comme un objectif inatteignable, une situation qui laisse peu de place aux stratégies de réduction des risques et d’alliance thérapeutique.
Quelles sont les obligations du CSAPA ?
Le CSAPA se doit d’accueillir et de rencontrer la personne. Mais que faire si l’orientation parait inadaptée ? Son rôle est alors de réorienter vers les partenaires qu’il juge pertinents, sachant qu’un accompagnement dans le cadre de soins obligés peut être arrêté pour les mêmes raisons que pour toute autre personne.
Samra Lambert est magistrate et vice-présidente du tribunal judiciaire de Créteil. Elle insiste sur l’importance du dialogue entre la justice et les structures d’addictologie : « Il est possible d’échanger avec la justice autour de l’arrêt de l’obligation si le soignant estime que c’est nécessaire. » Pour elle, « se rencontrer pour discuter des modalités de prise en charge » est une « responsabilité collective ».
Pour le CSAPA ALT, cela passe par un lien régulier et institué avec le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) : « On se rencontre deux fois par ans pour faire le point sur le fonctionnement et sur les ajustements que l’on pourrait améliorer. Ces rencontres ont pour intérêt de présenter notre manière de travailler. » explique Tahar Neggar.
Adapter le dispositif aux spécificités du public en soins obligés
Certains CSAPA ont fait le choix de proposer un accompagnement spécifique pour les personnes en soins obligés.
Par exemple l’ATL à Strasbourg ne délivre d’attestation qu’après cinq rendez-vous honorés, dont au minimum un rendez-vous par mois. « L’idée est de pouvoir laisser le temps qu’une demande émerge de cette rencontre. Cela nous permet de ne pas nous retrouver dans la position de distributeur d’attestations. » Le CSAPA tient informé le SPIP de cette organisation pour éviter les malentendus : « Souvent au niveau des équipes du SPIP il y a un important turn over, il est donc toujours nécessaire de réaffirmer comment on fonctionne. »
À Paris, au CSAPA Ménilmontant géré par l’association Aurore, les soins obligés étaient vécus comme une contrainte par l’équipe. Arnaud Plat, médecin dans le centre, le décrit comme « deux obligés : le patient et le professionnel. C’est une rencontre qui n’est pas très agréable ! »
Cela a été à la base d’une réflexion de l’équipe : « on s’est dit, et pourquoi on ne changerait pas notre mode d’accueil ? » Avec un des objectifs : retrouver le plaisir à rencontrer ce public. Le CSAPA a adapté ses méthodes et reçoit maintenant les personnes en soins obligés par groupe.
«On prend du plaisir à l’animation de ce groupe. On n’est pas des délivreurs d’information sur les produits ou sur la loi mais des facilitateurs de discussions pour parler des raisons qui font qu’ils sont obligés de venir. On parle de l’obligation, de ce que sont les addictions, la liberté de consommer, la place du produit. »
Le CSAPA Ménilmontant organise un groupe une fois par mois, avec un maximum de 12 personnes sur inscription et animé en binôme. Les participants ont la possibilité de prendre rendez-vous pour un suivi individuel ou de s’inscrire à nouveau au groupe. À l’issue des échanges de ce groupe, une attestation est délivrée.