À Strasbourg, « une adhésion générale » à la salle de consommation
Alors qu’on voit que les projets patinent dans plusieurs villes, la halte soins addictions d’Ithaque est ouverte depuis 2016. Comment s’est déroulé le projet d’ouverture et quels sont les éléments qui ont permis qu’il aboutisse ?
Gauthier Waeckerle : Un premier projet a été déposé dès 1999 mais nous avons sérieusement commencé à travailler sur Argos en 2013, suite à l’expression d’une volonté politique forte en la matière de la ville de Strasbourg dès 2011 lors d’un colloque que nous avions organisé au Parlement européen autour des salles de consommation. Puis une rencontre entre avec Jourdain Menninger, alors présidente de la MILDECA, la ville et Ithaque en mars 2013 a concrètement acté la possibilité d’ouvrir une salle à Strasbourg.
Avant même que la loi ne l’autorise, à Strasbourg, la grande majorité du conseil municipal s’est prononcée en faveur de cette expérimentation et a affiché sa volonté d’identifier un lieu qui soit le plus adapté possible aux usagers, tout en préservant la tranquillité du voisinage. Le fait d’être entouré de pays ayant déjà des salles, comme la Suisse et l’Allemagne, a également favorisé l’acceptation publique et politique. Tout comme l’implantation au sein de l’hôpital (situé au centre) qui n’a pas d’habitations à proximité, le seul voisinage étant les services hospitaliers.
Par ailleurs, en 2015, un comité technique et de pilotage s’est mis en place avec des représentants de la ville, de l’Agence régionale de santé, de la préfecture et de la police, et du procureur de la République. Cela a permis d’anticiper d’éventuelles difficultés et de bien communiquer sur le projet en amont. Nous avions ainsi mis en place dse groupes de travail autour de l’articulation santé/justice/forces de l’ordre, des protocoles de soin et du volet immobilier.
Donc en résumé, la HSA de Strasbourg est née d’une forte adhésion politique, d’un travail avec tous les acteurs en amont de toute ouverture…
C'est vrai que pour refuser d’ouvrir une HSA, on met souvent en avant l’opposition de certains riverains… Comment cela s'est passé à Strasbourg ?
Gauthier : En parallèle et en amont de l’ouverture nous avons mené des enquêtes et des rencontres auprès des riverains (écoles, clubs de sport, etc…) : il n’y a eu aucune opposition ou crainte par rapport à une ouverture à cette époque-là. Depuis nous n’avons jamais eu d’opposition de la part des riverains ou de manifestations contre la HSA. Lorsque nous avons ouvert l’hébergement au-dessus de la HSA, le conseil municipal a voté à l’unanimité un budget pour soutenir ce projet. Donc aucune opposition politique mais plutôt une adhésion générale, pas de vagues ou de récupération : à ce jour nous sommes plutôt tranquilles de ce côté-là, pourvu que ça dure…
Justement, l'hébergement sur place à Argos : c'est une particularité. Pourquoi ce projet et comment se déroule-t-il ?
Gauthier : Nous expérimentons un dispositif de soins avec hébergement adossé à la HSA : 20 places sont disponibles, en chambre simple ou double. Elles s’adressent aux usagers d’Argos sans domicile fixe qui, du fait de leurs pratiques d’usages de substances psychoactives et de leurs modes de vie, ne peuvent bénéficier des dispositifs existants alors même qu’ils souffrent d’une ou de plusieurs pathologies physiques ou psychiques nécessitant la mise en œuvre d’examens et de soins incompatibles avec la vie à la rue.
Les personnes sont orientées vers l’hébergement par l’équipe de la HSA mais il n’existe pas de pathologies définies pouvant motiver une admission. Tout problème de santé, nécessitant de débuter un traitement ou une exploration médicale étant incompatible avec la vie à la rue peut être un motif d’inclusion (traitement de plaies, d’une hépatite, du VIH, exploration de cancers, initialisation de traitement psychiatrique…).
Infirmiers, travailleurs sociaux et agents de médiation présents 24 heures sur 24. Médecin addictologue, psychiatre et psychologue sont présents lors de permanences hebdomadaires et bihebdomadaires. Nous nous adaptons aux pratiques des usagers, notamment de consommation avec un accès 24/24 à la HSA. Nous acceptons les animaux de compagnie et laissons aux personnes le temps de se poser, de prendre confiance et, si elles le souhaitent, d’entamer des démarches liées à leur santé, situation sociale, etc… La durée de séjour est en moyenne de 8 mois, nous les accompagnons autant que possible à la sortie pour trouver un hébergement ou un logement, et sommes en mesure de poursuivre leur accompagnement même si ils ne sont plus hébergés chez nous.
À ce jour, la loi prévoit la fin de l’expérimentation des salles de consommation à moindre risque pour le 31 décembre 2025… Comment abordez-vous cette échéance chez Ithaque ?
Gauthier : Non seulement le contexte actuel n’est pas vraiment favorable à l’ouverture d’autres HSA mais nous commençons à être inquiets de l’avenir d’ARGOS et de son hébergement adossé, qui est également expérimental. Faute de courage politique, de modification de la loi après 2025 et à défaut d’ouvertures d’autres HSA d’ici là, nous restons définitivement isolés, sans réel poids pour faire évoluer la loi.
Ainsi nous risquons au mieux d’être autorisés à poursuivre sous un format toujours expérimental — et ce malgré l’évaluation de l’INSERM, les rapports parlementaires, les auditions au Sénat qui ont à chaque fois été positifs et favorables.
Nous gardons toutefois espoir que le sujet des HSA sorte du champ politique et soit uniquement traité d’un point de vue de santé publique. L’intérêt de cet outil n’est plus à prouver, il faudra certainement se battre (mais on a l’habitude depuis 30 ans !), il faut qu’on y aille nombreux.