Suède : la répression de l’usage de drogues en échec

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Article rédigé par Benjamin Tubiana-Rey 21 octobre 2024
Depuis 1988, la Suède applique une politique de pénalisation stricte contre la consommation de drogues. Un article paru le 9 septembre 2024 dans l'International Journal of Drug Policy analyse les résultats de cette politique conclue que, malgré ses intentions de réduire l’usage et les risques associés, cette stratégie s’avère coûteuse et inefficace. Alors que la France adopte une approche similaire, l’expérience suédoise questionne toujours plus l’efficacité de la répression dans la gestion des addictions.

Une politique répressive adoptée dans les années 1980

La pénalisation de l’usage de drogues a été instaurée en Suède en 1988, puis renforcée en 1993 avec la possibilité d’imposer des peines de prison pour usage personnel. L’objectif était de dissuader la consommation en rendant l’usage des drogues plus difficile et risqué. Cette approche visait aussi à orienter les utilisateurs vers des soins, en facilitant les tests urinaires ou sanguins en cas de suspicion d’usage.

30 ans plus tard, selon un article paru en septembre 2024 dans la revue International Journal of Drug Policy, le bilan est plus que mitigé : non seulement la consommation de drogues n’a pas diminué, mais les données montrent une augmentation continue des décès liés à la drogue. Par exemple, entre 1988 et 2015, le taux de mortalité lié à la drogue en Suède a augmenté, notamment en raison de l’usage problématique des opioïdes. En 2017, la Suède enregistrait un des taux les plus élevés de mortalité par overdose en Europe.

Des coûts élevés

Cette stratégie répressive a un coût non négligeable pour l’État suédois. Les forces de police allouent une part importante de leurs ressources à la lutte contre la consommation personnelle de drogues. En 2013, presque 10 % de leurs effectifs étaient dédiés à ce type de répression, sans qu’une réduction notable de l’usage des drogues ne soit observée.

La Suède se distingue également par le nombre élevé d’infractions enregistrées pour des délits mineurs liés aux drogues. En 2022, elle comptait le plus grand nombre d’infractions pour usage de drogues par habitant parmi les pays de l’Union européenne. Ces arrestations, souvent liées à la possession ou à la consommation de petites quantités de drogue, n’ont pas non plus contribué à réduire la prévalence des addictions. Selon des données récentes, environ 10 000 jeunes Suédois (15-24 ans) sont condamnés chaque année pour usage personnel, ce qui entraîne des stigmates et des difficultés d’insertion sur le marché du travail.

Des impacts négatifs sur la santé publique

L’un des constats les plus frappants de la politique de répression concerne l’absence de diminution des décès liés à la drogue. Contrairement aux objectifs affichés, la pénalisation n’a pas permis de réduire les risques sanitaires. Entre 2000 et 2022, la Suède a connu une hausse marquée des décès par overdose, tout particulièrement parmi les jeunes et les usagers d’opioïdes. Cette tendance est d’autant plus préoccupante que d’autres pays nordiques, comme le Danemark, ont enregistré des baisses de la mortalité grâce à une approche plus axée sur la réduction des risques (échanges de seringues, salles de consommation).

Consulter l'article complet de l'International Journal of Drug Policy

Quelles leçons pour la France ?

La France a elle aussi opté pour une pénalisation accrue de l’usage des drogues avec la mise en place de l’amende forfaitaire délictuelle en 2020. Cette politique semble toutefois devoir être questionnée : l’expérience suédoise montre, comme en France que la répression n’aboutit ni à une baisse de la consommation ni à une amélioration de la santé publique.

Alors que la France fait face à des défis similaires en matière d’addictions, il est essentiel d’envisager une approche plus équilibrée. Plutôt que de se focaliser sur la criminalisation des usagers, la France pourrait s’inspirer des pays ayant adopté des politiques de réduction des risques, comme le Portugal, où la dépénalisation s’est accompagnée d’une baisse des décès liés à la drogue et d’une meilleure prise en charge des usagers.