Vers la première génération sans tabac ? Oui, mais pas sans prendre en compte les inégalités sociales
Le tabagisme en France : des progrès malgré des inégalités persistantes
Les statistiques révèlent qu’environ un tiers des adultes en France fument quotidiennement, une prévalence qui, bien qu’en baisse, reste significative.
Plus préoccupants sont les écarts flagrants de la prévalence tabagique selon les milieux socio-économiques. Les populations les plus vulnérables, notamment celles issues de milieux socio-économiques défavorisés, sont disproportionnellement touchées par le tabac ce qui met en lumière les inégalités sociales de santé persistantes dans notre pays. En effet, si 18 % des Français aux revenus les plus élevés sont fumeurs quotidiens, c’est le cas de 32 % des personnes aux revenus les plus modestes et même de 46 % des chômeurs. Et chez les jeunes de 17 ans déscolarisés, le tabagisme quotidien est quatre fois plus élevé que chez les jeunes lycéens (44 % contre 10 %).
Le programme national de lutte contre le tabac : un élan positif mais qui gagnerait à être plus concret dans les actions envers les populations vulnérables
Construire une société sans tabac, c’est l’ambition affichée par le nouveau programme national de lutte contre le tabac (PNLT) 2023-2027 qui vise à réduire la prévalence du tabagisme en France en mettant l’accent sur la prévention, la réglementation et le soutien à la cessation tabagique. La Fédération Addiction en a souligné les nombreuses mesures positives, parmi lesquelles :
- l’objectif de dénormalisation du tabagisme ;
- la délivrance des traitements de substitution nicotiniques directement en pharmacie et remboursés sans prescription médicale ;
- l’augmentation du prix du paquet, dont les études internationales soulignent la corrélation avec une baisse de la baisse de la consommation.
Mais si le PNLT 2023-2027 est attentif à l’accompagnement des fumeurs les plus vulnérables, il gagnerait à indiquer des actions plus concrètes tant fumer reste une pratique normalisée dans les catégories sociales défavorisées, où la concentration tabagique est restée forte. On peut même parler de tabagisme systémique parmi des populations dont les trajectoires biographiques exposent à des vulnérabilités multiples (sociales, économiques, psychologiques) qui accentuent les risques de dépendance nicotinique. C’est particulièrement vrai des chômeurs, des personnes sans-domicile, détenues ou migrantes.
Car si la stratégie de dénormalisation du tabagisme est un aspect essentiel de la lutte contre le tabac — et elle a d’ailleurs porté ses fruits au sein du grand public — elle risque aussi d’être perçue comme stigmatisante et pourrait même renforcer une dimension identitaire associée au fait de fumer dans les espaces de résistance tabagique. Face aux limites auxquelles se heurte cette stratégie, il convient de répondre par des efforts redoublés auprès des publics vulnérables, notamment en assurant autant que possible l’accès au soin. Jean-Michel Delile, président de la Fédération Addiction, rappelait dans un récent article que « Face à des populations éloignées des systèmes d’accompagnement et de prise en charge du tabagisme, il s’agit d’élargir, de multiplier et de rapprocher les portes d’entrée ». La démarche de l’aller-vers trouve ici toute sa pertinence, notamment à travers des actions de sensibilisation et des propositions d’accompagnement au sein de multiples structures (addictologie, hébergement, insertion sociale, etc.).
Pour les structures d’addictologie, le Mois sans tabac reste une occasion immanquable pour se mobiliser à cet égard. Le guide Améliorer la prise en charge du tabagisme en première intention dans les CSAPA, que la Fédération Addiction vient de publier en mai 2024, est également une ressource importante.
Recourir aux aides pour arrêter de fumer : une méthode à normaliser
La probabilité de réussir un parcours de sevrage tabagique est bien plus élevée lorsque l’on fait usage des substituts nicotiniques ou d’autres types d’accompagnement. Pourtant, le sevrage tabagique autonome (sans aides externes) reste plus fréquemment choisi : une stratégie certainement liée à la valorisation sociale de ce type de démarche qui témoignerait de la « force de la volonté ». Pourtant, face une addiction multidimensionnelle, il est utile de rappeler que la volonté seule est souvent insuffisante. La normalisation du recours aux aides pour arrêter de fumer est donc importante. Les récentes campagnes de prévention de Santé publique France vont d’ailleurs dans ce sens.
Car pour aider les fumeurs à rompre avec leur dépendance au tabac, une panoplie de solutions d’accompagnement et de prévention est désormais disponible : des traitements de substitution nicotinique aux programmes de soutien comportemental, en passant par les thérapies cognitivo-comportementales, les fumeurs ont aujourd’hui accès à une gamme variée d’outils pour les soutenir dans leur démarche de sevrage tabagique.
La campagne motivationnelle du Mois sans tabac mobilise chaque novembre des centaines de milliers de participants à travers le pays et offre une plateforme collective pour encourager et accompagner les fumeurs dans leur parcours.
Parmi ces nombreux outils, la Fédération Addiction pense que la vape a sa pertinence et devrait avoir une juste place parmi les dispositifs d’accompagnement à l’arrêt du tabac.
La vape : un outil de réduction des risques qui protège les fumeurs des dangers de la combustion
La vape a l’avantage de permettre de consommer de la nicotine sans s’exposer aux risques de la combustion qui est la principale responsable des troubles respiratoires, cardiaques et des cancers liés au tabagisme. Elle constitue donc un outil pertinent de réduction des risques et peut avoir sa juste place dans l’accompagnement des celles et ceux qui souhaitent arrêter de fumer.
Si le dernier avis du Haut Conseil de la santé publique confirme la légitimité de cet outil « pour des fumeurs spécifiques et/ou des publics vulnérables (en raison de co-addiction, de comorbidités, de facteurs sociaux, etc.) », une revue de littérature effectuée par Cochrane conclue que des données probantes « d’un niveau de confiance élevé » montrent que les cigarettes électroniques avec nicotine augmentent les taux d’abandon du tabac. Enfin, l’étude suisse ESTxENDS de février 2024 — à ce jour la plus grande enquête réalisée sur les effets du vapotage au moment du sevrage tabagique (1200 participants, dont la moitié a reçu un kit de vape et six mois de liquide gratuitement — démontre l’absence de problèmes de santé à six mois suite à l’usage de la vape, ainsi que l’augmentation significative de la cessation tabagique (1,77 fois plus de chance d’arrêter de fumer à 6 mois pour la cohorte ayant fait usage usage de la vape).
Dés résultats qui convergent avec ceux de l’étude britannique menée par le Royal College of Physicians qui émet des recommandations pour décourager l’initiation au vapotage chez les jeunes, tout en soutenant la promotion de la vape comme outil d’aide sevrage tabagique.
Royaume-Uni : un choix politique radical… et contestable
Au Royaume-Uni justement, le gouvernement a récemment déposé un projet de loi visant à l’interdiction progressive du tabac et du vapotage. La mesure se veut radicale : la vente de ses produits sera illégale pour toute personne née après 2009. Une voie catégorique pour atteindre l’objectif d’une génération sans tabac. Si cette loi est adoptée, l’évolution des données épidémiologiques durant les prochaines années sera très intéressante à suivre chez nos voisins.
La France, à travers le PNLT, vise également à l’élimination progressive du tabagisme dans la prochaine décennie… mais avec des moyens bien différents. Un choix qui a du sens au vu des potentiels effets contre-productifs d’une interdiction : à ce jour, on peut douter de l’acceptabilité, de la faisabilité et de l’efficacité d’une telle mesure en France. D’autant plus que la dernière enquête ESCAPAD de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) sur l’évolution de la prévalence tabagique chez les jeunes de 17 ans est très encourageante : entre 2014 et 2022, la prévalence du tabagisme quotidien à 17 ans a été divisé par deux (de 32,4 % à 15,6 %).
Si cette tendance se poursuit, l’objectif d’avoir en France la première génération d’adultes non-fumeurs d’ici 10 ans semble à portée de main, sans interdiction mais grâce à la dénormalisation, la prévention et l’accompagnement.