Quand l’Armée du salut intègre la réduction des risques

Partager sur

Article rédigé par Véra Manoukian 11 mars 2025
La Fondation de l’Armée du salut, avec l’appui de la Fédération Addiction, déploie un projet inédit dans 15 établissements pilotes pour intégrer la réduction des risques dans ses pratiques d’accompagnement, depuis le début de l'année 2024 jusqu'à fin décembre 2025. Ce programme, qui répond à un appel à manifestation d'intérêt de la Dihal, vise à transformer l’approche des consommations en renforçant les liens avec les professionnels de l’addictologie, en formant les équipes et en impliquant directement les personnes concernées. Une évolution qui pourrait influencer les orientations de la Fondation jusqu’à son siège londonien : nous avons interviewé Claude Magdelonette, directeur des programmes secteur inclusion sociale.

En quoi consiste le projet « Accompagner et prévenir les conduites à risques relevant de l’accueil inconditionnel, l’hébergement et l’insertion » ?

Claude Magdelonette : Il s’agit d’un projet de mise en place d’une démarche de réduction des risques (RdR) au sein de de nos établissements, avec quinze sites pilotes. Il se situe à plusieurs niveaux :

  • Premièrement bien sûr, au niveau des personnes accompagnées, pour créer des parcours de soin dans une démarche de RdR.
  • Ensuite, au niveau des équipes : à travers ce projet, nous sensibilisons les équipes aux principes de l’addictologie ou, lorsqu’un partenariat local avec le partenaire spécialisé en addictologie existe, nous poursuivons les formations. Cela permet de faire évoluer les pratiques professionnelles et le regard porté sur les consommations, dans un contexte de turnover des équipes important.
  • Enfin, l’Armée du salut est une fondation existant au niveau international, depuis le 19e siècle, avec une approche basée sur le principe d’inconditionnalité de l’accueil mais la démarche prônée autour des addictions est historiquement celle de l’abstinence. Nous souhaitons, à travers ce projet, faire évoluer cela. Pour l’instant cela se révèle positif car nous avons été interpellés, nous Fondation française, par le quartier général à Londres, qui prévoit de se déplacer pour nous rencontrer et observer la mise en œuvre du projet.

Pouvez-vous revenir sur la genèse du projet, le besoin initial identifié, qui a conduit la Fondation de l’Armée du salut à porter ce projet ?

La fondation de l’Armée du Salut a donc été créée au 19e siècle sur un principe d’accueil inconditionnel. Depuis, nous sommes mis au défi d’accompagner les dimensions de consommations multiples des publics accueillis, dans le contexte défavorable d’une précarité qui augmente statistiquement la probabilité de présenter des conduites addictives.

Localement, certains de nos établissements, comme ceux de Louviers et Marseille, sont historiquement engagés sur des programmes de RdR mais (comme pour beaucoup d’associations œuvrant dans le social avec un accueil inconditionnel) la crise du COVID-19 a cristallisé un certain nombre de problématiques : il a fallu apporter une réponse globale pour et avec les personnes concernées autour des questions de consommation.

Parallèlement, nous avons historiquement des liens avec les adhérents de la Fédération Addiction : nos professionnels se rencontrent, s’écoutent et observent les approches de réduction des risques des uns et des autres.

Ainsi, lorsque la Fédération Addiction nous a interpellé sur cet appel à manifestation d’intérêt (AMI) en 2023, nous nous sommes retrouvés à la croisée des besoins des personnes accueillies et hébergées, des remontées du terrain de certaines pratiques professionnelles innovantes, des équipes du siège qui accompagnent ces réflexions et de nos liens historiques avec la Fédération Addiction. Nous nous sommes alors réunis autour de la table pour répondre à cet AMI ! Avec un objectif d’harmonisation nationale de nos pratiques professionnelles et avec une démarche méthodologique ambitieuse.

Nous avons fait le choix de prendre la porte d’entrée de la réduction des risques et de l’addictologie mais nous touchons aux enjeux de psychiatrie, de troubles psychosomatiques, de comorbidités… Nous décloisonnons les approches au service d’une démarche globale de santé.

Et du coup, quels objectifs ont été fixés au projet ?

L’objectif principal est de structurer et pérenniser les accompagnements et les partenariats locaux avec le partenaire spécialisé en addictologie : renforcer les liens entre les professionnels pour initier des parcours de soin vers le rétablissement, renforcer les sensibilisations et formations en addictologie.

L’Armée du Salut gère différents types d’établissements, de l’accueil de jour au centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), en passant par la pension de famille et le centre d’hébergement d’urgence (CHU). Selon les établissements, les publics ne sont pas les mêmes, sont plus ou moins volatiles, ont plus ou moins des errances de parcours de santé et de soin. Nous nous devons d’harmoniser les pratiques autour de la RdR, afin que, quel que soit l’établissement, on y retrouve une approche globale commune de réduction des risques avec des professionnels sensibilisés à l’addictologie.

Plus globalement, ce projet s’inscrit dans notre projet associatif national qui a pour but de renforcer nos thématiques de santé. Par leurs parcours de vie, nos publics présentent souvent des errances en matière de soin : nous avons fait le choix de prendre la porte d’entrée de la réduction des risques et de l’addictologie mais à travers cela nous touchons aux enjeux de psychiatrie, de troubles psychosomatiques, de comorbidités… Cela nous permet de décloisonner les approches au service d’une démarche globale de santé.

Vous le disiez, ce projet ambitionne d'inclure les personnes accueillies et hébergées : comment cela se passe-t-il ?

En effet, les personnes accueillies sont très largement incluses dans l’ensemble des étapes du projet, de l’état des lieux aux actions avec les partenaires spécialisés en addictologie. C’est facilité par la présence d’un médiateur santé-pair dans l’équipe projet nationale. Cela permet de faire bouger les lignes à tous les niveaux :

  1. les personnes accueillies et hébergées sont mobilisées et investies dans la mise en place et le développement du projet RDR dans leur structure,
  2. les équipes professionnelles voient leur regard évoluer quant aux pratiques professionnelles possibles,
  3. les directions sont interpellées par la question de la pair-aidance, et son impact sur la vie et la gestion d’une équipe.

C’est une expérimentation qui nous fait avancer, dans une démarche « d’apprendre en marchant », en intégrant les retours au quotidien. Nous nous projetons aussi vers demain, et nous étudions les possibilités de financement de postes locaux, via les agences régionales de santé par exemple.

Un autre effet intéressant observé est ce que cela provoque sur les professionnels quant à leurs parcours personnels autour des produits : intégrer une personne qui parle ouvertement de ses consommations, de son parcours en addictologie, fait émerger des questionnements pour tous. C’est un travail de proximité qui fait bouger les choses, et qui nous fait considérablement avancer à tous les niveaux.

Intégrer à l'équipe une personne qui parle ouvertement de ses consommations, de son parcours en addictologie, fait émerger des questionnements pour tous. C’est un travail de proximité qui fait bouger les choses.

Et qu'en est-il de l'évaluation ?

Nous développons une méthode d’évaluation ambitieuse, avec un travail de mesure d’impact du projet : quels impacts la démarche RdR va-t-elle avoir dans nos établissements, auprès des professionnels et des personnes accompagnées ? Comment les mesurer ? Cela s’inscrit dans une démarche méthodologique de recherche rigoureuse, avec une approche académique ambitieuse. Cela permettra ainsi de faire rayonner le projet auprès de nos autres établissements, qui ne sont pas pilotes du projet, dans une démarche de réplicabilité des approches et actions mises en œuvre durant ce projet.