Nicolas Bourguignon : « Il y a beaucoup de vitalité et beaucoup de modernité dans les structures de soin résidentiel ! »

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Article rédigé par Pauline Amadé Dimitrov 9 septembre 2024
Nicolas Bourguignon est directeur général du CEID-Addictions à Bordeaux. Il travaille dans le soin résidentiel depuis près de 20 ans et est le référent de cette thématique au sein du conseil d’administration de la Fédération Addiction. Il a répondu à nos questions sur les enjeux et l’avenir du soin résidentiel en France.

Pour commencer : à quels publics sont destinées les structures du soin résidentiel et comment les usagers y sont-ils orientés ?

Historiquement, le soin résidentiel intervenait après une cure de sevrage, pour stabiliser l’abstinence et pour travailler sur d’autres éléments psychologiques, médicaux qui pouvaient renforcer le sevrage. Ce lieu sécurisé permettait que le retour à la société civile soit le plus opérant possible.

En addictologie, c’est la personne qui demande à entrer dans une structure. Depuis 2002, nous devons faire des projets personnalisés, ce qui demande plus de souplesse et d’adaptation, d’autant que les sollicitations des usagers ont évolué depuis 25 ans. Certains recherchent la possibilité de faire une coupure. D’autres disent qu’ils veulent être dans un endroit qui les sécurise et veulent arrêter les consommations, d’autres encore peuvent dire « J’ai besoin d’être entre quatre murs, d’avoir des activités, une dynamique collective pour m’aider à être dans le changement ». Le changement est d’ailleurs un terme générique derrière lequel il y a une multitude de réalités.

Donc on ne sait jamais tout à fait quelles sont les histoires de vie et les vulnérabilités qui ont conduit une personne à avoir une addiction et je dirais, de manière symétrique, on ne sait pas tout à fait quelles sont les modalités d’accompagnement qui vont permettre à cette personne de changer favorablement, d’évoluer telle qu’elle le souhaite.

La durée du séjour est aussi souvent amenée comme un motif. Pour des personnes en grande précarité, en grande souffrance, il peut y avoir une demande de se poser pour quelques mois. Certains nous disent lorsqu’ils demandent à aller en communauté thérapeutique « J’ai compris qu’on peut rester jusqu’à 2 ans ».

Et aussi, très concrètement, ce qui motive parfois une personne à aller en soin résidentiel (ou des équipes à l’orienter vers le soin résidentiel) c’est qu’elle fait le constat que le suivi en ambulatoire ne suffit pas, ou qu’elle souhaite s’investir dans une démarche de changement mais que ses conditions de vie l’en empêche. Le soin résidentiel offre un engagement dans un fonctionnement qui rythme les journées pendant des semaines et des mois, ça permet de se projeter. Pour les gens les plus désocialisés, ça les éloigne des impacts au quotidien de leur précarité, ou des effets de leur addiction. Ils peuvent ainsi se consacrer pleinement aux soins.

Quels sont les points communs ou, au contraire, les différences entre les structures de soin résidentiel ?

Il n’y a pas deux établissements identiques : chaque structure a créé, au travers de son histoire, des manières différentes d’opérer.

Ce qu’elles ont en commun c’est l’accueil, la dimension de séjour, d’accompagnement au travers d’un collectif. Et le plateau technique, les compositions professionnelles des équipes sont souvent les mêmes. Mais l’environnement est différent, ce qui répond à un besoin des usagers.

Dans une communauté thérapeutique (CT) par exemple, le projet thérapeutique s’appuie sur la dynamique de groupe comme étant propice au changement. Beaucoup des usagers, quand ils arrivent, ne croient plus en leur capacités de changement. On va les amener à prendre leur place dans le groupe, avec des missions, une prise progressive de responsabilités pour eux-même et vis-à vis des autres, ce qui leur permet de reprendre confiance en leurs capacités et de préparer le retour dans la vie sociale.

Dans le soin résidentiel non communautaire, il y a des établissements comme les CSAPA résidentiels qui peuvent travailler sur la dynamique de groupe, mais généralement c’est moins avancé, et moins attendu, que pour les CT. Pour les communautés thérapeutiques, le groupe comme élément de changement est dans le cahier des charges.

Et en appartement thérapeutique, on est plutôt sur des leviers individuels, même s’il peut avoir des éléments collectifs. Ce qui est intéressant, c’est que la personne accueillie est totalement dans la cité, avec les apparats d’une vie classique, mais avec une équipe en back up.

Le soin résidentiel est très ancré dans son territoire et son environnement, et cela a des effets extrêmement positifs sur les usagers.

Peux-tu nous donner des exemples d'actions innovantes réalisées par des structures de structures résidentielles en addictologie ?

C’est une question facile car les espaces résidentiels sont de formidables lieux d’expérimentation dans l’accompagnement des personnes accueillies ! Il y a plein de petites expérimentations qui se font un peu partout. Il faudrait d’ailleurs plus les reconnaitre, les mettre en évidence.

On peut citer l’accompagnement des consommations, la responsabilisation des usagers dans les établissements, la pair-aidance, avec l’intégration des pair-aidants dans les équipes…On a aussi des projets sur la remédiation cognitive dans certains établissements.

Par exemple, à l’arrivée dans une structure, il arrive que le projet personnalisé d’une personne accueillie ne soit pas le sevrage ou l’abstinence, comme c’était historiquement le cas, mais plutôt la réduction, la reprise de contrôle sur ses consommations. Cela, pour les établissements, reste expérimental, et entraine un besoin d’échange de pratiques. Le travail sur la réduction des risques dans le soin résidentiel est toujours en cours. Il y a une grande diversité dans l’approche des établissements, certains lieux sont beaucoup plus avancés que d’autres. Et cette diversité est intéressante car cela permet aussi de répondre à la diversité des attentes et des besoins des usagers.

Quel rôle joue la Fédération au service des structures de soin résidentiel ?

La Fédération Addiction offre d’abord des espaces de réflexion pour les professionnels. Cela répond à un besoin : les structures ont souvent des questionnements communs et les espaces de discussions permettent de rompre un certain isolement.

Pour exemple, sur la réduction des risques (RdR), les professionnels s’accordaient sur l’intérêt de la RdR mais manquaient d’espaces pour parler de son application opérationnelle dans les établissements et d’endroits où on pouvait les accompagner sur les aspects concrets de l’adaptation de certaines pratiques au sein du soin résidentiel.

On a aussi créé depuis un an des groupes thématiques, pour chaque type de structures. Cela permet des discussions sur le quotidien des équipes, du management, comment on accompagne les changements, notamment aussi les changements de population.

Est-ce qu’il y a assez de structures, assez de moyens ?

Non : au niveau national, la demande est plus forte que l’offre. Les équipes, les personnes concernées, et de plus en plus nos partenaires de la médecine de ville et du sanitaire nous repèrent comme des ressources, mais on ne peut pas répondre à tous. Des moyens ont été donnés pour l’ambulatoire, au sanitaire (SSRA) mais dans le soin résidentiel, il n’y a pas eu de création  depuis 10 ans. Beaucoup de famille-relais ont disparu et cela ne semble pas être un projet des financeurs de redévelopper ce dispositif. Les appartements thérapeutiques existants sont financés et intégrés à des CSAPA ambulatoires, mais il n’y a plus de création non plus.

Il faudrait créer plus de places, et d’établissements pour développer l’offre en soin résidentiel.

Un souhait pour l’avenir du soin résidentiel en addictologie ?

Je souhaiterais que l’on parvienne à rendre plus lisible l’offre que l’on propose et la manière dont on pratique les uns et les autres, afin d’obtenir la reconnaissance qui va avec. Qu’on puisse aussi reconnaitre qu’on a beaucoup évolué, s’est ouvert à des approches, à des pratiques nouvelles. Nos établissements étaient considérés comme des établissements fermés, mais aujourd’hui il y a beaucoup d’établissements qui font des projets tournés vers l’extérieur, avec des associations, des municipalités : il y a beaucoup de vitalité et beaucoup de modernité dans les structures de soin résidentiel.

Le soin résidentiel travaille énormément sur l’insertion sociale et citoyenne. Il est très ancré dans son territoire et son environnement, et cela a des effets extrêmement positifs sur les usagers.