L’importance de l’analyse de drogues à Mayotte
Si Mayotte a été départementalisée en 2011, l’île de l’Océan Indien continue d’accumuler les particularités. La situation sociale et économique, l’arrivée de migrants et le droit dérogatoire contribuent à un contexte favorable au développement des conduites à risques, notamment en ce qui concerne la consommation de drogues.
Face à ce constat, les professionnels se sont saisis de l’analyse de drogues. Car si le contexte général mahorais est spécifique, c’est aussi le cas des substances et des modes de consommation.
Nous avons recueilli le témoignage de la POPAM, Plateforme Oppelia de prévention et de soin des addictions à Mayotte, un dispositif spécialisé unique au territoire.
Mayotte, un département français… au contexte spécifique
Mayotte est devenue un département d’outre-mer en 2011. Cette intégration au cadre législatif commun n’a évidemment pas supprimé les spécificités sociales et économiques du territoire.
Mayotte est ainsi un département où plus de la moitié de la population a moins de 18 ans et où la densité est la plus forte d’outre-mer. Officiellement, le recensement évaluait en 2017 le nombre d’habitants à 250 000 mais selon différents observateurs, ce chiffre est largement sous-évalué. 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté national alors que Mayotte n’échappe pas au principe de vie chère existant dans les outre-mer.
Par ailleurs, la législation générale sur l’immigration et la nationalité ne s’applique pas à Mayotte. Alors que de nombreux migrants affluent quotidiennement à Mayotte — en provenance des autres îles de l’archipel des Comores, de Madagascar ou d’autres pays d’Afrique — l’accès aux droits et notamment à des papiers permettant de régulariser les situations n’est pas le même. Le titre de séjour de 10 ans, qui donne accès à l’espace Schengen, est très rarement délivré. Ainsi, Nicolas Gestel, éducateur spécialisé à la POPAM, note que « lorsque les populations migrent ici, elles sont en quelque sorte “condamnées” à rester mais privées de la plupart de leurs droits ».
Résultat : les bidonvilles, appelés « bangas », ne cessent de se développer.
Alcool, cannabis mais aussi chimik, tibakou, tremblou…
L’ensemble de ces facteurs constituent un terrain favorable à la consommation de drogues. C’est ainsi qu’est née la POPAM, Plateforme Oppelia de prévention et de soin des addictions à Mayotte.
Ouverte en octobre 2021 et accueillant du public depuis janvier 2022, la POPAM est le premier dispositif de type CSAPA/CAARUD/CJC à Mayotte. Elle fonctionne en étoile, à travers une plateforme et des équipes mobiles. L’équipe explique que « la méthodologie choisie par la POPAM, inscrite dès le projet de base et dans la réponse à l’appel à projet de l’ARS, est celle d’une démarche communautaire en santé ».
Concrètement, l’équipe de la POPAM constate sur le terrain qu’il existe des consommations de produits chez la majorité de la population, notamment les plus précaires. Elles tournent autour du tabac (souvent de contrebande), de l’alcool (souvent à bas coût et forte concentration) et des produits spécifiques à Mayotte :
- du bangué : cannabis local parfois mélangé avec de la chimik ;
- des préparations locales comme la chimik, la mangrove (fumées en mélangeant avec du tabac), le tibakou (sorte de tabac à chiquer avec lequel certains consommateurs disent développer des effets stimulants importants ainsi qu’une dépendance) ou le tremblou (vin de palme dont le titrage varie en fonction de la macération). L’effet recherché semble généralement celui du soulagement ou de la socialisation.
D’un autre côté, Mayotte connait également des consommations plus festives pratiquées par des personnes issues de classes sociales plus aisées. Elles tournent autour de la MDMA, de la cocaïne et de nouveaux produits de synthèses (en plus de l’alcool et du cannabis).
L’analyse de produits : un besoin urgent
L’existence de ces produits place les consommateurs et les professionnels dans une positions délicate. « Quel est ce produit ? Quel effet produit-il ? D’où vient-il ? Nous n’avons pas de connaissances sur les risques encourus et sur les moyens de les réduire ni accès à un matériel de consommation à moindre risques adapté aux produits et aux modes de consommation locaux » explique l’équipe de la POPAM.
Car aucun laboratoire d’analyse n’existe à Mayotte. Le réseau SINTES (veille sanitaire) n’est pas développé sauf à travers la coordination située à la Réunion, à 1400 km. Cela rend les délais de traitement impraticables pour informer les consommateurs.
Analyser la chimik
En attendant de disposer sur le territoire d’une ou plusieurs techniques d’analyse de produits pour informer les consommateurs, la POPAM a décidé de participer au projet « Chasse-marée ». Il s’agit, en lien avec le centre universitaire de Mayotte, de collecter 800 échantillons de chimik sur un an pour obtenir une connaissance fine de la réalité de ce produit. Ce projet associe également le CHU de Lille, le centre hospitalier de Mayotte et le CEIP-Addictovigilance de Bordeaux et DOM.
Pourquoi ce focus sur la chimik ? Nicolas Gerstel explique pourquoi l’équipe de la POPAM en fait une priorité : « La chimik montre une disparité importante. Les consommateurs décrivent des produits de base différents (produits de synthèse, médicaments, produits ménagers), des intensités et effets différents (stimulants, perturbateurs, dépresseurs, hallucinogènes) et de nombreux fantasmes existent sur sa conception… »
Les constantes sont qu’il est mélangé à un alcool pur (type alcool de pharmacie) puis séché pour être mélangé avec du tabac. Le conditionnement à la revente se fait généralement dans un « papier contenant le tabac ». Le consommateur le roule ensuite en le mélangeant avec du tabac à cigarette pour diminuer l’effet. Généralement, l’effet intervient très rapidement (deux à trois tafs) et peut occasionner une perte de conscience, des effets dissociatifs, des décompensations, des accès de violence. « Les consommateurs décrivent ressentir de l’énervement, une perte de contrôle, une perte de connaissance et parfois des hallucinations. Cela semble les marquer et occasionner des craintes. L’envie de reconsommer semble intervenir rapidement et le potentiel de dépendance semble élevé (quelques semaines de consommation). »
« En tant que professionnel, il nous semble primordial d’amener plus de clarté au sujet des produits et de leurs effets. » Nicolas Gerstel, éducateur spécialisé, explique les projets de l’équipe de la POPAM
Amener plus de clarté sur les produits et leurs effets : vers un laboratoire local
Le projet « Chasse-marée » est une étape importante pour les professionnels de la POPAM : « il nous semble primordial d’amener plus de clarté au sujet des produits et de leurs effets. Un consommateur et une population informée sont plus à même de mettre en œuvre un “prendre soin”, de réduire les risques et d’éviter l’apparition de fantasmes sur les consommateurs. »
Par ailleurs, le contexte en Tanzanie, aux Seychelles et à Maurice laisse penser que d’autres produits comme les opiacés ou le crack pourraient arriver à Mayotte prochainement.
Le projet « chasse-marée » est ainsi une première étape dont les résultats doivent servir de point d’appui au développement d’un laboratoire local d’analyse de drogues. « Un laboratoire d’analyse de produits ancré localement est une nécessité pour l’action de réduction des risques à Mayotte » alors que le système de pharmaco-vigilance, tout comme les autres dispositifs de diagnostic et de recueil de données pour d’autres champs, sont cruellement absents du département.
Contact : Nicolas Gerstel, éducateur spécialisé POPAM, ngerstel@oppelia.fr
Le réseau « Analyse ton prod’ »
Le réseau « Analyse ton prod’ » rassemble les structures qui proposent ou souhaitent proposer l’analyse de drogue à leurs publics. Animé par la Fédération Addiction, il a pour objectifs de coordonner et d’accompagner les acteurs mettant en place ou souhaitant mettre à disposition de leurs publics l’analyse de drogues comme outil de réduction des risques.