Les CJC, un dispositif multidisciplinaire pour l’accompagnement des jeunes et de leur entourage
Aujourd’hui, quelles sont les missions d’une consultation jeunes consommateurs (CJC) ?
Véronique Garguil : La spécificité des CJC, c’est d’offrir un accueil et un accompagnement adaptés au public jeune et à son entourage et de dégager des principes d’intervention faisant sens pour l’ensemble des parties prenantes. En CJC, on prend en compte la diversité des publics et des usages et le fait qu’ils nécessitent des interventions qui peuvent aller de la simple information à la prise en charge complexe (familles, comorbidités, ruptures, précarités…).
Sur un territoire donné, une CJC est également une ressource et un appui pour les institutions en contact avec les jeunes. Elles peuvent la solliciter car la CJC est à la croisée des chemins de la prévention, de la réduction des risques et du soin : son rôle est d’influer, au moment le plus précoce possible, sur le parcours afin soit d’éviter le passage par une dépendance, soit d’accélérer l’entrée dans une prise en charge adaptée.
Observe-t-on une évolution des motifs de consultations chez les jeunes consommateurs au fil de ces 20 dernières années ? Quels sont les comportements et préoccupations qui dominent ?
Véronique Garguil : L’importante nouveauté ces dernières années c’est l’arrivée des addictions sans substance. Mais surtout, ce qu’on écoute quand on reçoit des familles et des jeunes, c’est qu’ils sont dans une quête d’être compris alors qu’ils sont souvent face à un paradoxe : d’un côté le marketing est de plus en plus agressif, avec les influenceurs, les séries, les sollicitations sont décuplées… et de l’autre, ils rencontrent souvent des professionnels et des adultes qui leur demandent d’arrêter de consommer.
Cela dit, les jeunes ont bien conscience de la dangerosité des produits mais ils n’arrivent pas forcément à contrôler leur consommation. Cela doit nous interroger sur la fonction des produits et les besoins auxquels ils répondent. Les adolescents que l’on reçoit sont dans une recherche d’amusement, de soulagement, d’expérience, d’être moins timide, plus posé, d’appartenir à un groupe… finalement c’est assez universel tout ça, c’est ce que tout le monde recherche. Face à tout cela, les CJC doivent avoir un regard global à la fois social, sociétal, et psycho-développemental sans oublier la réalité pharmacologique et/ou addictive de certains produits et comportements.
Quelles sont les approches utilisées pour traiter les problèmes de consommation chez les jeunes ? Quelles méthodes ou techniques se sont avérées les plus efficaces ?
Véronique Garguil : Ce que nous recherchons en premier lieu, c’est l’alliance : c’est la base de tout échange. Le professionnel se montre disponible et propose une écoute inconditionnelle, prête à entendre toute leur expérience pour adapter au mieux les réponses. Nous utilisons les approches expérientielles, motivationnelles qui sont basées sur la coopération, l’acceptation et l’empathie. Pour cela on part de et on respecte l’expérience du jeune en vue d’un possible changement. Et qui dit changement ne dit pas forcément abstinence même s’il est important d’aborder la réelle dangerosité : on n’est pas dans la caution mais dans l’évaluation de la solution trouvée à un moment donné par un jeune, dans son environnement du moment, et la construction d’un objectif partagé réaliste et suffisamment attrayant pour lui avec ou sans sa famille.
Ce qui est efficace c’est aussi d’impliquer les jeunes dans leur évaluation, de les amener à réaliser leur propre auto-évaluation, de favoriser l’auto-prévention en leur donnant des repères et en leur faisant confiance. Par exemple, dans ma pratique, je leur propose des auto-questionnaires pour savoir où ils en sont et représenter ou objectiver par des images ou des croquis ce qu’ils vivent avec les addictions. Cette technique favorise leur auto-détermination (être capable, être autonome, s’organiser, se connaître). Nous appliquons aussi les principes de la réduction des risques dans notre accompagnement pour favoriser l’adhésion et leur indiquer que c’est leur être en devenir dont il s’agit et qui est important et non pas un comportement souvent restrictif de leur personne.
Nous travaillons aussi avec les familles pour comprendre avec eux pourquoi ils ont tout intérêt à ne pas partir en guerre contre les comportements ou la consommation mais plutôt à coopérer avec le jeune en vue d’une meilleure adaptation à leur projet de vie, d’une qualité de vie personnelle dans toutes les sphères de leur existence et de sortir d’une forme de cristallisation autour de la consommation. C’est important de remettre en mouvement le jeune et la famille pour sortir de l’inquiétude, de l’angoisse et du désarroi que nous commençons souvent par légitimer et valoriser le fait que c’est ce qui les amène à la consultation. Nous essayons de montrer qu’il y a des possibilités de bouger avec du temps, du soutien et de la coopération.
Mais comme partout, changer cela prend du temps, d’où l’intérêt de faire une évaluation complète. Parfois on a besoin de comprendre au-delà du comportement, pour cela il est important de se constituer des partenariats solides pour faire le lien et ne pas perdre de temps.
La mission d’aller vers les jeunes, d’aller vers les professionnels est fondamentale… et cela demande des moyens et du temps.
Comment les pratiques de collaboration et de travail en réseau entre professionnels de la santé mentale, les établissements scolaires et d'autres organismes communautaires ont-elles évolué au cours des dernières années ?
Véronique Garguil : Cela pose la question des déterminants, de ce qui amène le jeune à consommer. Ces facteurs sont multiples, les addictions sont tellement multifactorielles que cela oblige au partenariat pour avoir une lecture complexe. On travaille bien sûr sur le comportement, avec ou sans la famille. Et avec les autres partenaires, la communauté d’adultes autour des jeunes, on peut travailler par exemple sur le stress scolaire, le psycho-trauma, la santé mentale, les problématiques sociales, familiales etc.. Quand on travaille en CJC on doit avoir cette lecture multiple, très ouverte, pour avoir une juste évaluation et s’entourer au bon moment des bons partenaires. Il ne faut pas hésiter à solliciter la mission locale, la santé mentale, la sphère scolaire, la famille autant que l’on peut…
Il faut garder en tête qu’un des déterminants de santé important c’est la stigmatisation donc je pense que les partenariats servent aussi à déstigmatiser en déployant un environnement favorable dans un maximum de secteurs croisés par le jeune et sa famille. L’enjeu ici est de rendre la question des drogues moins taboue pour permettre un repérage plus précoce. Commençons par plus de bienveillance, par moins de jugements réducteurs et sortons de la culpabilisation individuelle pour favoriser un repérage précoce et un accès au soin rapide pour les plus en difficulté.
Quels sont les éléments qui aujourd’hui freinent le travail des CJC ?
Véronique Garguil : Étant donné la disponibilité des objets de consommation facilitée par l’essor du numérique, il est important de se rendre absolument disponible dans la façon dont on regarde ces usages, dont on les évalue de manière multifactorielle et dans la façon dont on les accompagne. C’est pourquoi la mission d’aller vers les jeunes, d’aller vers les professionnels est fondamentale…. À ce jour, les organisations multiples des CJC sont une richesse importante dans les initiatives, les adaptations aux territoires, les créativités partenariales.
Exploitons ces 20 ans d’expériences et donnons à ces lieux les moyens pour faciliter la lisibilité la notoriété et les coopérations avec les partenaires dont ils ont besoin pour répondre au mieux à ceux qui s’attardent parfois dans des étapes compliquées de cette délicate période qu’est l’adolescence.