« La Commission européenne a réduit le financement des projets de prévention et de réduction des risques »

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Article rédigé par Benjamin Tubiana-Rey 8 novembre 2024
Katrin Schiffer est la directrice de Correlation - le Réseau européen de la réduction des risques. Elle est également depuis 2021 la présidente du Forum de la société civile sur les drogues (CSFD), l'instance officielle de dialogue entre la Commission européenne et la société civile. Alors que le mandat du CSFD va être renouvelé fin 2024 pour trois ans, Katrin répond à nos questions sur l'état des politiques drogues dans l'UE.

En 2021, l’Union européenne (UE) a adopté une nouvelle stratégie en matière de drogues : celle-ci comporte toujours un important volet répressif mais aussi une section consacrée aux politiques de santé fondées sur des données probantes. Alors que cette stratégie arrive à échéance en 2025, quel a été l’influence de ce document sur les politiques des drogues en Europe ?

Katrin Schiffer : La politique en matière de drogues relève des compétences de chaque État membre, mais la Stratégie de l’UE en matière de drogues entend apporter une valeur ajoutée aux politiques et stratégies nationales : elle s’appuie sur les principes du Traité de Lisbonne (2006) et les États membres sont invités à la mettre en œuvre conformément à leurs lois et réglementations nationales. La Stratégie de l’UE joue donc un rôle important et devrait être considérée comme une référence et un indicateur pour une approche équilibrée de la politique des drogues en Europe. Elle constitue également un document stratégique pertinent pour plaider en faveur d’une politique fondée sur des données probantes et sur les droits humains.

Comme tu le soulignes, le texte de la Stratégie 2021-2025 met l’accent sur le contrôle des drogues et la prévention de la criminalité mais elle établit également un cadre solide pour faire progresser les efforts de prévention et de réduction des risques. En ce sens, il s’agit d’une stratégie équilibrée. Elle reconnaît explicitement le rôle essentiel de la société civile et souligne la nécessité d’améliorer la couverture et la qualité des interventions de réduction des risques, en particulier dans le contexte des maladies infectieuses et des décès par surdose. La stratégie invite les États membres de l’UE à améliorer les services tels que le dépistage et le traitement des infections qui se diffusent par le sang, le traitement de substitution aux opiacés (TSO), les programmes d’échange de seringues, les salles de consommation de consommation à moindre risque (appelées « Haltes soins addictions » ou HSA en France), la Naloxone à emporter et les services d’addictologie dans les prisons, ainsi que les sanctions coercitives alternatives.

Mais la mise en œuvre de cette Stratégie est moins équilibrée, tant au niveau des États membres qu’au niveau européen. La réduction des risques reste largement sous-financée dans tous les États membres. Certains pays manquent encore de services essentiels, tels que les programmes de TSO et d’échange de seringues, tandis que des interventions plus innovantes telles que les salles de consommation, la naloxone à emporter et l’analyse de produit ne sont disponibles que dans quelques pays. Nous sommes également préoccupés par le rétrécissement de l’espace accordé à la société civile dans certains pays. C’est le cas par exemple de la Hongrie, qui a considérablement restreint le rôle pourtant crucial des associations.

De plus, la DG HOME, qui est l’administration de la Commission européenne compétente pour la politique des drogues, ne soutient actuellement que les initiatives ciblant le contrôle des drogues et la prévention de la criminalité et a réduit le mécanisme de financement des projets dans le domaine de la prévention et de la réduction des risques. Ceci marque un changement de politique inquiétant, suggérant que la Commission est moins engagée à soutenir les initiatives de la société civile dans ces domaines. Nous espérons que la Commission rétablira les mécanismes de financement dans un avenir proche, car ils sont essentiels pour encourager les pratiques qui sont évaluées et qui marchent ainsi que la collaboration en matière de prévention et de réduction des risques.

Le rapport du CSFD sur la stratégie de l'UE en matière de drogues 2021-2025 (en anglais)

Le Forum de la société civile sur les drogues (CSFD, dont fait partie la Fédération Addiction) est l'organe officiel de consultation de la société civile de la Commission sur la question des drogues. Vu de France c’est un dispositif original : il n'existe pas de structure équivalente ici. Les avis du CSFD sont-ils pris en compte par les institutions européennes ? Comment les relations entre le CSFD et la Commission ont-elles évolué ces dernières années ?

Katrin : Le Forum de la société civile sur les drogues (CSFD) est un groupe d’experts auprès de la Commission européenne qui existe depuis 2007. Avec environ 45 organisations de la société civile de toute l’Europe, il représente un large éventail d’expertise en matière de prévention, de réduction des risques et de soins, offrant des perspectives diverses sur ces questions. Le CSFD permet une plateforme structurée pour le dialogue entre la société civile et la Commission, contribuant à l’élaboration et à la mise en œuvre de la politique des drogues de l’UE en offrant des conseils pratiques.

Ainsi, au fil des ans, le CSFD a contribué de manière significative à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques européennes. Nous avons produit des rapports, des lignes directrices, des documents d’orientation et des déclarations qui ont informé l’UE et ses États membres sur des sujets clés.

Je pense que le CSFD peut servir d’exemple de bonne pratique sur la manière d’organiser la participation de la société civile, comme une plateforme d’échange et de dialogue. La plupart des États membres de l’UE ne disposent pas de mécanismes formalisés pour l’engagement de la société civile et pourraient apprendre et bénéficier de l’expérience du CSFD !

Mais si la contribution et les opinions du CSFD sont reconnues et prises en compte par la Commission européenne, le Forum manque de ressources financières. Précédemment, le CSFD bénéficiait d’un financement de projet, ce qui a contribué de manière significative à l’impact de ses activités. Mais depuis 2020, le travail du CSFD dépend uniquement de l’engagement de ses membres, ce qui représente une charge importante pour les individus et le bureau en particulier : cela limite le travail du Forum.

2024 a été marqué par la mise en place de la nouvelle Agence européenne sur les drogues (EUDA). Que pouvons-nous attendre de cette nouvelle structure, en particulier sur la réduction des risques ?

Katrin : L’EUDA est une agence technique qui aide l’UE et ses États membres à faire face aux problèmes de drogue dans le domaine de la surveillance, de la préparation et du développement des compétences. La réduction des risques est essentielle pour répondre aux nouvelles tendances et évolutions en matière de drogues.

Je pense que l’EUDA peut jouer un rôle important dans l’élargissement de la couverture et de la qualité des services de réduction des risques en Europe. En apportant des preuves scientifiques et un soutien, en s’impliquant de manière significative et en coopérant étroitement avec la société civile et les personnes concernées.

Et pour terminer, parlons un peu de la France : que peut-on dire des prises de positions du gouvernement français sur les drogues au niveau européen ?

Katrin : Malheureusement, je n’ai pas connaissance d’une prise de position officielle récente de la France sur ces questions.