Guyane : « Les professionnels souhaitent travailler davantage en réseau, pour pouvoir mieux accompagner sur les parcours complexes et les comorbidités »

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Article rédigé par Edouard Henry 14 janvier 2025
En Guyane, les actrices et acteurs de la prévention, de la réduction des risques et du soin en addictologie viennent d’adopter une feuille de route commune portant jusqu’en 2027, en collaboration avec l’agence régionale de santé (ARS). Maud Léguistin, chargée de mission santé publique à l’ARS Guyane, nous raconte le contexte dans lequel s’inscrit cette feuille de route, ses principaux axes et la méthode qui permettra sa mise en œuvre.

Quelles sont les problématiques principales en Guyane en termes de consommation et les enjeux principaux en termes de développement de l'offre de soins ?

Maud Léguistin : En ce qui concerne la consommation, la problématique principale en Guyane tourne autour de l’alcool et du cannabis. Nous avons moins de difficultés sur tout ce qui est tabac, autres substances de synthèse ou addictions sans substances. Cela ne veut pas dire qu’elles n’existent pas mais leur prévalence est beaucoup moins forte et il faut donc continuer à faire de la prévention de la sensibilisation, pour que ça ne devienne justement pas plus important.

En termes de données, nous nous appuyons sur le baromètre de Santé Publique France, dont les dernières données relatives aux consommations en Guyane remontent à 2020, et sur des études de l’OFDT, notamment les enquêtes ENCLASS et SINTES. Nous aimerions beaucoup que le recueil de données et l’addictovigilance se développent sur le territoire, et cela fait d’ailleurs partie de la nouvelle stratégie territoriale. J’aimerais également que l’on puisse développer des enquêtes plus qualitatives sur les modes de consommation et les usages et notamment sur la dimension culturelle et traditionnelle de certaines consommations car nous savons que cela peut être différent de ce qu’on trouve dans l’hexagone.

En termes d’offre de soins, nous avons d’autres problématiques et qui sont, pour le coup, beaucoup plus complexes à traiter. Nous pourrions diviser la Guyane en deux : Il y a une Guyane sur le littoral et une Guyane des territoires de l’intérieur. Dans l’intérieur, il y a très peu de dispositifs car nous manquons de personnes formées sur place. Il faudrait qu’on trouve une solution… mais pour l’instant, nous n’avons pas trouvé. Sur le littoral, nous arrivons à avoir une meilleure offre de soins. Là, les difficultés sont le turnover, le sentiment de manque de formation de la part des professionnels et leur isolement. Les professionnels souhaitent travailler davantage en réseau, pour pouvoir mieux accompagner sur les parcours complexes et les comorbidités, puisque ça fait partie des cas qui sont difficilement pris en charge aujourd’hui.

Comment a été construite la feuille de route et quels sont ses principaux axes ?

ML : En fait, cela remonte à assez loin. Il y avait déjà eu une feuille de route produite en 2019, mais à cause du Covid, énormément de choses sont restées en stand-by et cette feuille de route est restée à l’état d’ébauche. Donc fin 2023, nous avons pensé qu’il était temps de reprendre ce travail pour l’actualiser. Nous avons fait appel à un cabinet via un marché public pour faire un diagnostic qui a été réalisé entre février et avril 2024. Au mois de juin, le cabinet a présenté le diagnostic pour qu’on commence à travailler sur les axes de travail pour la feuille de route avec les acteurs de terrain. Ensuite, à partir du travail fourni par les acteurs et le diagnostic, nous avons rédigé le document. Finalement, la stratégie régionale de lutte contre les addictions a été présentée le 29 novembre et elle sera publiée très prochainement. Nous avons essayé de faire cette écriture de manière assez collaborative. Nous n’avons pas contacté de manière exhaustive tout le monde, mais nous avons quand même réussi à ce que ce soit assez représentatif des acteurs professionnels sur l’addiction en Guyane.

Au final, la feuille de route contient six axes :

  • Les deux premiers portent sur la prévention et la promotion de la santé. D’une part il s’agit de mieux connaître les faits pour pouvoir mieux diffuser de l’information et donc mieux prévenir les populations, les professionnels. D’autre part, il faut faire de la prévention dès le plus jeune âge, dans une approche de promotion de la santé, c’est-à-dire faire en sorte que les personnes développent des comportements favorables plutôt que de prévenir les comportements à risque.
  • Le troisième axe est consacré à la prévention, la réduction des risques dans différents milieux : festifs, étudiants, professionnels, etc.
  • Il y a deux axes qui portent sur l’offre de soins et d’accompagnement, notamment en ce qui concerne les soins de suite et la réadaptation, l’offre de soins dans les territoires intérieurs, les comorbidités et les publics vulnérables. Les femmes sont un public particulièrement vulnérable, comme il en a été question aux dernières JAGA (journées Antilles-Guyane d’addictologie). Par exemple, nous avons pas mal de problèmes d’alcoolisation fœtale.
  • Enfin, il y a un dernier axe, qui répond au besoin qu’ont exprimé les acteurs, de travailler plus ensemble et mieux ensemble. Donc aller vers de l’animation de réseau, de la coordination d’acteurs, etc. C’est là que la Fédération Addiction peut prendre toute sa place, avec aussi cette dimension formation qui est attendue.

Pour finir, quel est le rôle de l'ARS vis-à-vis des structures de terrain, et comment pouvez-vous travailler ensemble vers la mise en œuvre de cette feuille de route ?

ML : Le rôle de l’ARS est d’abord d’être financeur d’actions et de structures. Mais notre rôle c’est aussi de mettre en œuvre du pilotage et une coordination des acteurs sur le territoire. Il y a un travail qu’on commence aussi : aller chercher d’autres types d’interlocuteurs qui pourraient financer des structures, ou d’autres types d’institutions qui pourraient appuyer les démarches. Parce que quand nous parlons d’addictions, nous parlons aussi de logement, de précarité économique, de précarité ou difficultés dans l’emploi. Cela touche à toutes les dimensions de la vie donc il faut aussi qu’on aille vers la préfecture, vers Pôle emploi, vers la collectivité territoriale de Guyane, vers les collectivités locales. Tout le monde a un rôle à jouer.

En ce qui concerne la collaboration entre l’ARS et les structures pour la mise en œuvre de la feuille de route, il y avait tout d’abord cette possibilité de participer aux différentes présentations, pour voir ce qui se passe et comment s’impliquer. Par la suite, nous allons probablement passer par des groupes de travail, des rencontres plus thématiques, plus fléchées que ce qu’on a pu faire jusqu’ici. Et puis il va y avoir des événements qui vont se passer au niveau régional, que ce soit des formations, les JAGA en 2025, ou d’autres idées.

Enfin l’ARS peut participer à diffuser des offres d’emploi. Si des structures souhaitent en diffuser, ou si des personnes souhaitent postuler, nous transmettrons l’information !