La réduction des risques appliquée à l’alcool : comment la définir et la mettre en œuvre ?

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Article rédigé par Pauline Amadé Dimitrov 9 décembre 2024
Si faire baisser la consommation globale d’alcool est une nécessité de santé publique, cela ne devrait pas s’accompagner d’une stigmatisation des personnes qui « boivent trop » ni d’une injonction individuelle à réduire ou arrêter de consommer de l’alcool. C’est pourtant le cas, et de nombreuses personnes en difficultés avec leurs consommations d’alcool ne bénéficient d’aucun accompagnement adapté à leur demande. C’est pourquoi la réduction des risques (RdR) doit pleinement poursuivre son déploiement pour l’alcool, afin d’améliorer l’accès aux soins des personnes. Catherine Delorme, présidente de la Fédération Addiction, nous éclaire sur ce sujet.

Comment définir la RDR appliquée à l’alcool ? Depuis quand cette notion existe-elle ?

La réduction des risques, c’est une politique de santé publique qui s’est développée au cours des années 1980 dans le champ des drogues illicites, en réponse à l’épidémie de sida chez les usagers de drogues injecteurs. La RdR ne propose pas le sevrage ou la baisse des usages comme préalable, mais elle s’appuie sur les attentes et les demandes des personnes concernées, qui sont les premières connaisseuses de leurs pratiques de consommation. C’est une approche pragmatique. Elle vise à améliorer la qualité de vie des personnes en offrant des solutions pratiques et adaptées à leurs réalités.

Appliquée à l’alcool, la réduction des risques va partir du postulat que la consommation d’alcool existe, qu’elle comporte des risques, comme par exemple la conduite en état d’ébriété, les intoxications éthyliques aigües, l’usage problématique voire la dépendance, la stigmatisation, etc., et proposer un ensemble de mesures pour prévenir ou limiter ces risques. La campagne de prévention « C’est la base » lancée en septembre 2023 par Santé Publique France, est par exemple une campagne de réduction des risques appliqués à l’alcool. Elle donne des recommandations telles que boire aussi de l’eau quand on consomme de l’alcool, raccompagner ses ami·e·s quand ils ont trop bu, respecter le choix de ne pas consommer d’alcool, etc.

La réduction des risques appliquée à l’alcool est à distinguer de la réduction des dommages associés à l’alcool, qui sont les mesures destinées à réduire l’accessibilité de l’offre et de la demande d’alcool, à informer le grand public des risques pour la santé, des maladies et les affections liés à la consommation d’alcool, et chercher à mettre en place des stratégies de prévention efficaces pour réduire ces dommages.

Quels sont les enjeux liés à l’intégration de la réduction des risques liés à l’alcool dans le secteur de l’addictologie (médico-social, sanitaire, ville) ?

Dans les CSAPA et les autres structures médico-sociales spécialisées en addictologie, les pratiques évoluent et doivent être consolidées et élargies. L’intégration de la réduction des risques appliquée à l’alcool dans les pratiques des CAARUD  est aussi un sujet de réflexion et d’action. Cette évolution de l’offre d’accompagnement proposée par les CSAPA et les CAARUD avec un accompagnement à la réduction des risques appliquée à l’alcool peut également contribuer à améliorer l’accès aux soins des personnes présentant un trouble de l’usage d’alcool et ainsi à réduire le ”treatment gap” , dans une perspective de continuité et d’intégration des actions de prévention, RdR et soins.

Déployer la réduction des risques liés à l’alcool dans le secteur de l’addictologie, dans le médico-social et le sanitaire, ne peut reposer que sur le seul savoir-faire des équipes : le changement des pratiques professionnelles n’est possible qu’au travers un portage institutionnel solide et engagé. Nous continuerons d’accompagner nos adhérents dans cet enjeu de transformation organisationnelle.

La médecine de ville joue également un rôle essentiel pour aider les personnes à prendre conscience de leurs consommations à risques ou de difficultés éventuelles avec l’alcool : en la matière, la stratégie recommandée est celle du repérage précoce et de l’intervention brève (RPIB). Les médecins généralistes sont aussi des acteurs au premier plan pour accompagner les personnes dans un objectif de réduction des risques. Le site intervenir-addictions.fr, porté par la Fédération Addiction et soutenu par les pouvoirs publics, permet de diffuser le RPIB mais aussi différents outils auprès des médecins généralistes et plus globalement des acteurs de santé de premier recours.

Justement, comment la Fédération s’implique sur le sujet, comment répond-elle aux enjeux ?

La Fédération agit avec ses partenaires, notamment dans le secteur de l’accueil-hébergement-insertion (AHI). Ainsi, un partenariat engagé depuis 2011 avec la Fédération des acteurs de la solidarité, permet la réalisation d’actions sur les plans national et régional pour mieux comprendre et considérer les besoins des personnes accueillies par les structures des secteurs et mieux accompagner les professionnels. Les deux fédérations se sont montrées proactives pour notamment encourager l’autorisation des consommations au sein des structures d’accueil et d’hébergement. Nous sommes également mobilisés avec le Samusocial de Paris et la Fondation de l’Armée du salut sur ce sujet.

La Fédération Addiction soutient aussi le développement de programmes et de méthodes d’intervention : nous avons adapté le programme « Meschoix+ » au contexte français et piloté son déploiement dans le secteur de l’addictologie et auprès des maisons pluridisciplinaires de santé (lien formation). Nous avons été également partenaires de l’expérimentation du déploiement de la méthode « IACA ! — intégrer et accompagner les consommations d’alcool », une méthodologie d’intervention formalisée par l’association SANTé ! dont nous attendons les résultats de l’évaluation par l’ISPED.

Nous avons aussi participé au projet de capitalisation des savoirs expérientiels sur la réduction des risques liés à l’alcool (SeRra) de la Société française de santé publique (SFSP) qui visait à documenter les pratiques existantes et à dresser un panorama des actions en France. Par ailleurs, nous sommes partenaires du collectif Modus Bibendi,  avec lequel nous avons publié en 2019 la synthèse Alcool, intervenir autrement issue de l’expérimentation de la réduction des risques liés à l’alcool dans deux CSAPA, partenariat qui s’est poursuivi par des actions de formation et des communications lors des congrès annuels de la Fédération Addiction.

Enfin, nous avons récemment travaillé à une évolution de notre formation, intitulée Réduction des risques appliquées à l’alcool : définition et mise en œuvre, qui propose de mieux comprendre le cadre théorique de la réduction des risques appliquée à l’alcool et sa mise en œuvre dans le secteur spécialisé en addictologie.