« Sniffy » : rien n’arrête le marketing ! Au-delà de l’interdiction, innovons en prévention

Partager sur

Article rédigé par Jean-Michel Delile 3 juin 2024
La commercialisation sous la marque « Sniffy » d’une poudre blanche prétendument énergisante et destinée à être sniffée par le nez grâce à une paille fournie dans le kit provoque depuis quelques jours une légitime émotion et de nombreuses réactions. Son mode de consommation, rappelant à dessein celui de la cocaïne, inquiète à juste titre. Le marketing n’hésite ainsi pas à s’appuyer sur l’image sulfureuse de la drogue pour attirer des jeunes en quête d’expériences originales et atypiques vers des voies d’administration banalisant les pratiques addictives. La question de l’interdiction a été posée par plusieurs responsables, dont le ministre de la Santé.

Pour les professionnels des addictions, si l’interdiction doit être une riposte immédiate et nécessaire, elle ne saurait suffire : l’existence même d’un marché pour ce type de produit appelle à une politique ambitieuse de prévention.

L’équipe marketing de « Sniffy » ne pouvait rêver d’une meilleure publicité : plusieurs dizaines d’articles et de reportages, une multitude de réactions politiques… pour un produit qui ne serait vendu, selon les réseaux de buralistes, que dans une dizaine de bureaux de tabac. La grande majorité des buralistes, comme d’ailleurs des lieux de commercialisation du CBD, ont refusé de distribuer ce produit mais ceux qui l’ont fait semblent dire que leurs stocks ont été rapidement épuisés.

L’interdiction : une solution utile… mais provisoire

Comme pour d’autres produits visiblement destinés à attirer un public jeune dans l’univers addictif — notamment les « puffs », les « premix » et autrefois les cigarettes en chocolat… — l’interdiction de « Sniffy » apparait comme une mesure utile et nous invitons les pouvoirs publics à trouver rapidement les moyens juridiques permettant de retirer « Sniffy » du marché.

Mais il ne s’agira là que d’une solution provisoire : quel produit imagineront demain ces entreprises ? Après les puffs, les gummies, les poudres à sniffer… nul doute que d’autres produits au marketing explicitement dirigé vers la jeunesse verront bientôt le jour en utilisant des saveurs juvéniles (fraise, marshmallow ou menthol), en surfant sur les interdits et en banalisant des comportements « addicto-like ».

Face à ce phénomène, il convient de promouvoir des actions de prévention à plus long terme qui permettraient de réduire l’attrait  de ces produits ne trouvent pas de marché parmi les jeunes. Car on le sait depuis Saint Augustin qui, dans ses Confessions, évoquait le vol de poires qu’il avait commis dans un champ, alors qu’il était ado (16 ans). Il reconnut par la suite que ces poires n’étaient même pas bonnes et qu’il avait fini par les donner à des cochons : le plaisir, nous dit-il, de ces poires reposait sur « le simple désir de faire ce qui était défendu » !

Pour une véritable politique de développement des compétences psychosociales

Les acteurs du marketing le savent et il faut donc évidemment contraindre les entreprises et les agences de publicité à ne plus produire ni promouvoir des produits de consommation flirtant avec les interdits pour attirer les jeunes vers des consommations addictives, en en banalisant l’accès. C’est une réflexion qui n’est pas sans rappeler les efforts récents pour contrôler certaines publicités volontairement provocatrices en faveur des paris sportifs.

Mais fondamentalement, la prévention, nous semble devoir reposer un ensemble d’interventions qui visent à empêcher ou réduire les conduites à risque ou empêcher qu’elles ne deviennent des addictions. Elle repose sur différentes stratégies, parmi lesquelles le développement des capacités des individus à faire des choix favorables à leur santé. C’est ce qu’on appelle les compétences psychosociales.

La Fédération Addiction accompagne depuis plusieurs années des programmes de développement des compétences psychosociales auprès des élèves de primaire et collège : ce sont les programmes Primavera (9-12 ans) et Unplugged (11-13 ans). Et les effets sont là : pour les jeunes qui les suivent, ces programmes retardent sensiblement l’expérimentation et diminuent les consommations d’alcool, de tabac et de cannabis.

Malheureusement, ces programmes ne sont aujourd’hui déployés que dans quelques milliers de classes à l’échelle du pays.

Une véritable politique de santé publique exige aujourd’hui que les pouvoirs publics cessent de se contenter de courir après les stratégies marketing

Une véritable politique de santé publique exige aujourd’hui que les pouvoirs publics cessent de se contenter de courir après les stratégies marketing des entreprises : il est temps de changer de braquet et de mettre en œuvre, à côté d’outils réglementaires de limitation des dérives marketing, un plan de prévention des conduites addictives parmi les jeunes, doté de moyens suffisants et reposant sur le développement des compétences psychosociales et la promotion des actions de repérage en précoce en consultation jeunes consommateurs.