Jean-Pierre Couteron : « Les CJC ont été créées pour faciliter les rencontres avec les jeunes »
Les consultations jeunes consommateurs (CJC) ont été créées il y a 20 ans. Quel était le contexte qui a amené à cette création en 2004 ?
Jean-Pierre Couteron : Il y a deux éléments : le premier, c’est qu’à la fin des années 1990, il y a un tournant au sujet de la consommation de cannabis chez les jeunes. On commence à se rendre compte que la montée des usages pose un problème de santé publique, qu’on ne peut plus juste considérer que ce sont des ados qui font « leur expérience ». D’autant plus qu’à l’époque on commence à peine à parler de binge drinking et pas du tout des écrans.
De l’autre, il y a la réduction des risques (RdR) : du point de vue des politiques de l’époque, la RdR va de pair avec la lutte contre les maladies infectieuses. Et c’est vrai que son grand bénéfice c’est la baisse du nombre d’infections aux hépatites et au VIH et la baisse des surdoses. Mais pour les professionnels, la RdR a aussi été la façon d’aller vers et d’accompagner les personnes : elle a ouvert une réflexion sur des seuils de rencontre plus adaptés à différents publics.
La réflexion à l’ANIT (ancêtre de la Fédération Addiction) a été d’attraper ces deux fils : oui, l’usage de cannabis augmente chez les jeunes et cela pose problème… mais ces jeunes ne viennent pas dans nos dispositifs car ils ne se reconnaissent pas dans un lieu où on s’occupe des « toxicos », où on va leur dire « Tu es malade, arrête de prendre le produit qui te soulage et fais une psychothérapie ». Donc il faut faciliter la rencontre en proposant de venir non pour se soigner mais pour évaluer leur usage, ses conséquences et les problèmes qu’ils ont, et qui vont au-delà de la consommation : parents, école, etc.
« Les jeunes ne se reconnaissent pas dans un lieu où on va leur dire “Tu es malade, fais une psychothérapie” »
Comment se sont passées les discussions avec les autorités pour parvenir à la création de ce nouveau dispositif ?
Jean-Pierre Couteron : Sur ce sujet c’était la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT, devenue MILDECA en 2014), alors présidée par Didier Jayle, qui pilotait. Didier Jayle vient du champ du VIH, il avait cette culture de la RdR.
On a fait plusieurs réunions dans les locaux de la MILDT, les cliniciens (Michel Reynaud, Olivier Phan, moi-même), des représentants de l’administration, d’associations, des universitaires… Chacun a apporté son expérience et ses références scientifiques et en début 2004, alors que les élections régionales approchaient on nous a demandé de rendre notre copie. Et c’est à partir de là qu’ont été créées ce qui s’est d’abord appelé des « consultations cannabis ».
Une fois le dispositif créé, comment a eu lieu sa mise en place dans les structures ?
Jean-Pierre Couteron : Ça n’a pas été sans poser de débats ! Il a fallu faire comprendre aux collègues cliniciens que le but n’était pas nécessairement de faire des psychothérapies à tous les jeunes mais de les rencontrer le plus tôt possible dans leur trajectoire dans une dynamique d’intervention précoce.
Le focus sur le cannabis était aussi un souci : certes, c’était un enjeu… mais l’alcool ? Cela reste le produit d’initiation et on ne peut pas l’oublier. Ainsi que le tabac, d’autant qu’à l’époque on commençait à travailler sur les plans de lutte contre le tabagisme. Heureusement cela a changé après.
Et puis le nom « consultation ». Non, on ne fait pas forcément de « consultation » au sens de psychothérapie dans une CJC : c’est avant tout un lieu pour que les jeunes rencontrent des adultes sans qu’on leur demande de changer immédiatement de comportement, pour qu’on puisse déployer l’entretien motivationnel. Le nom a été institutionnalisé maintenant mais il ne faut pas perdre cet esprit.
D’ailleurs, entre l’ambition initiale des CJC et la pratique d’aujourd’hui, des choses ont-elles changé ?
Jean-Pierre Couteron : Il y a la question du manque de moyens évidemment, on ne peut pas l’occulter. Mais sur le fond, j’insiste là-dessus, l’esprit de départ n’était pas de faire uniquement des psychothérapies mais surtout de l’intervention précoce et éventuellement du repérage (s’il y a chez un jeune quelque chose qui se joue du côté de la pré-psychose, pour réorienter).
Or, pour tenir ça, pour que les CJC ne deviennent pas un simple service de psychologie dédié aux jeunes, il faut un pilotage fort ! Si, aujourd’hui, il y a évidemment des CJC qui travaillent avec les maisons des adolescents ou des intervenants en milieu festif, ce sont les structures et la Fédération Addiction qui en sont à l’initiative mais ce devrait être davantage soutenu par l’Etat dans le cadre d’une politique forte et ambitieuse.